LA PREUVE DE L'IMPECUNIOSITE TOTALE : CONDITION SINE QUA NON AFIN DE SE SOUSTRAIRE A LA CONDAMNATION POUR ABANDON DE FAMILLE

LA PREUVE DE L'IMPECUNIOSITE TOTALE : CONDITION SINE QUA NON AFIN DE SE SOUSTRAIRE A LA CONDAMNATION POUR ABANDON DE FAMILLE

Publié le : 16/02/2022 16 février févr. 02 2022

Cass., crim., 19 janvier 2022, n° 20-84.287

Il est possible, pour le conjoint qui n'a pas versé la pension alimentaire qui lui incombe, de se soustraire à la condamnation pour délit d'abandon. Seule condition : rapporter la preuve d'une impossibilité absolue de payer.

Le délit d’abandon de famille, sanctionné par l’article L. 227-3 du Code pénal, constitue le fait, pour une personne, de ne pas exécuter une décision judiciaire ou l'un des titres lui imposant de verser au profit d'un enfant mineur, d'un descendant, d'un ascendant ou du conjoint une pension, une contribution, des subsides ou des prestations de toute nature dues en raison de l'une des obligations familiales prévues par le code civil.

En matière de droit de la famille, les prestations visées à l’article L. 227-3 du Code pénal se traduisent généralement par une pension alimentaire, fixée par jugement en cas de séparation entre les parents, ou entre ceux-ci et l'enfant.
Dans ce cas, et selon l’article 373-2-2 du Code civil, la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant prend la forme d'une pension alimentaire versée, selon le cas, par l'un des parents à l'autre, ou à la personne à laquelle l'enfant a été confié.

Or, en demeurant plus de deux mois sans s'acquitter intégralement de l’obligation de verser notamment la pension alimentaire qui lui incombe, la personne débitrice de cette obligation encourt deux ans d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende (art. L. 227-3 du Code pénal).

Ce sont précisément les faits visés par l’article L. 227-3 du Code pénal, relatif au délit d’abandon de famille, qui ont donné lieu à un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 19 janvier dernier.

En effet, une union dont sont nés deux enfants, a par la suite, donné lieu à un jugement une somme mensuelle globale de 800 euros avait été fixée par un juge aux affaires familiales au titre de pension alimentaire afin que le père des enfants  contribue à l’entretien et à l’éducation de ces derniers.

Celui-ci ne s’exécutant pas, la mère des enfants a porté plainte pour abandon de famille à plusieurs reprises. Le père a été déclaré coupable par jugement du tribunal correctionnel en date du 11 mars 2019, a interjeté appel puis a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d'appel de Douai, en date du 23 juin 2020, qui, pour abandon de famille en récidive, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, a ordonné la révocation du sursis assortissant une peine d'emprisonnement antérieure et a prononcé sur les intérêts civils.

Le prévenu a notamment fait valoir qu’il appartenait au ministère public et à la partie civile de rapporter la preuve de sa volonté ne pas honorer sa dette. Or, il résultait de ses conclusions et des pièces qui les accompagnaient qu'une procédure de sauvegarde de justice avait été ouverte à son encontre par un jugement du 13 mai 2013.

Le prévenu faisait également grief à l’arrêt d’appel de constater que l'élément intentionnel de l'infraction ne faisait pas de doute en raison de l'absence de justification sérieuse par le prévenu de son impécuniosité totale et ce faisant, la cour d'appel aurait inversé la charge de la preuve.

La Cour, conformément au principe découlant de l’article 1353 du Code civil selon lequel la charge de la preuve incombe au demandeur à l’instance qui supporte la charge d’établir la réalité des faits qu’il allègue à l’appui de sa prétention, énonce que :

Si la partie poursuivante a la charge de prouver que le prévenu est demeuré, en connaissance de cause, plus de deux mois sans acquitter le montant de la pension alimentaire qu'il a été condamné à payer par décision de justice, il appartient au débiteur qui se prévaut d'une impossibilité absolue de paiement d'en rapporter la preuve.”

Cette solution se comprend aisément, au regard des principes régissant le régime de la preuve, dans la mesure où, après que le demandeur à l’instance ait prouvé son allégation, comme c’était le cas en l’espèce, c’est au défendeur à l’instance de devenir le demandeur à la preuve en avançant des faits qui viennent combattre les prétentions de son adversaire.

Ainsi il appartenait au débiteur de l’obligation de verser une pension alimentaire qui se prévaut d'une impossibilité absolue de paiement d'en rapporter la preuve.

La Haute Cour confirme donc l’arrêt d’appel en ce que celui-ci, pour déclarer le prévenu coupable d'abandon de famille, a retenu que l'intéressé avait connaissance de l'obligation alimentaire mise à sa charge et que, bien qu’arguant de difficultés financières établies par la sauvegarde de justice prononcée dans le cadre de son activité libérale de masseur-kinésithérapeute, l'intéressé ne justifie pas sérieusement de son impécuniosité totale aux périodes visées par la poursuite.

La soustraction à la condamnation pour abandon de famille suppose donc la preuve de l'impécuniosité totale, de l’impossibilité absolue de payer. En l’espèce, la procédure de sauvegarde ouverte dans le cadre de l’activité professionnelle du débiteur ne saurait suffire à rapporter une telle preuve.

Anne DEROBERT DRUJON d’ASTROS – Avocat spécialisé en droit de la famille
 

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